Traduit de l’allemand par Irène Bonnaud
Disponible dans la revue Frictions.
Né en 1944 à Sangerhausen, une petite ville de Thuringe qui hante une partie de son œuvre, Einar Schleef a fait des études à l'Ecole de Beaux-Arts de Berlin-Weißensee avant de devenir l'élève de Karl von Appen, le scénographe du Berliner Ensemble. D'abord peintre, photographe et décorateur, Schleef est passé à la mise en scène dans la première moitié des années 70, en collaboration avec B.K.Tragelehn qui avait été l'élève de Brecht et l'un des premiers metteurs en scène de Müller (ce qui lui avait valu d'être "renvoyé à la production", c'est-à-dire dans les mines de lignite, après sa mise en scène de La Déplacée en 1961).
Les trois mises en scène de Tragelehn-Schleef au Berliner Ensemble, Katzgraben d'Erwin Strittmatter, L'Eveil du Printemps de Wedekind, et surtout Mademoiselle Julie de Strindberg, et l'hostilité affichée des autorités à leur égard ont conduit pour une grande part à la fuite de Schleef en RFA et en l'emprisonnement de sa compagne d'alors. "Pendant les répétitions de Mademoiselle Julie, je suis debout avec la comédienne sur le bord de la scène et nous répétons le moment où elle quitte la scène en passant au-dessus de la tête des spectateurs. C'est le moment le plus important de la représentation, la fin. Pour la première fois, j'explique en bégayant à une comédienne qu'elle pourrait aller nue au-dessus des spectateurs. Pour tous deux, metteur en scène et comédienne, se joue là inconsciemment une décision qui est un tournant dans notre vie. Mon collègue n'est pas là. Nous sommes seuls. Cet instant est pour moi l'adieu aux problèmes dont on s'occupe sur cette scène, les pseudo-problèmes de la RDA qui interdisent justement toute représentation sans fard du quotidien de la RDA. La sortie de scène de Julie, qui ne part pas pour la mort, mais pour l'incertitude, est inconsciemment ma fuite hors de l'Allemagne de l'est".
En RFA, Schleef a d'abord consacré une dizaine d'années à son roman Gertrud, un immense monologue de deux mille pages : la voix est celle de sa mère, restée seule en RDA, avec deux fils de l'autre côté, des voisins bavards et la Stasi qui la surveille. Ce n'est qu'en 1986 qu'il est revenu au théâtre, avec une œuvre chorale inspirée des tragédies grecques, Mères. "Mon projet de permettre au chœur, à la communauté de ceux qui travaillent ensemble, à la communauté des personnages qui parlent une seule langue, celle de l'auteur, d'entrer à nouveau sur la scène se heurte à des réactions particulièrement violentes et à un refus général. Dès que j'ai commencé à travailler comme metteur en scène en RFA, on m'a traité de fasciste. Ce jugement a conduit à mon bannissement du train-train théâtral et à un chômage forcé de plusieurs années. Et même si aujourd'hui aucune mise en scène chorale ne peut exister sans se confronter au canon de formes que j'ai proposé, le geste original n'apparaît plus, le problème du chœur en sort tout émoussé et banal : il faut surtout que la force politique qui habite aujourd'hui le chœur n'apparaisse pas. Si les chœurs de femmes ne furent pas réhabilitées en RFA après ma mise en scène de Mères, cela ne tient pas au manque de pièces appropriées, comme le prétendent les gens de théâtre, mais au simple fait que, comme le dit un spectateur, un homme ne peut supporter 53 femmes en train de crier en même temps."
Schleef construisait peu à peu un parcours autour de la question du chœur, des différentes formes chorales qui étaient autant de positions politiques. Pour lui, les grandes pièces du théâtre allemand classique se fondent sur un chœur de cannibales, car elles mettent en scène "la drogue, sa définition et son absorption rituelle en groupe" : "La prise de drogue telle qu'elle est utilisée par les auteurs allemands invoque la première absorption de drogue "chorale" de notre culture : Ceci est mon corps. Ceci est mon sang. Les pièces allemandes construisent des variations sur le motif de la Cène et la nécessité de la drogue, analysent la teneur et la quantité de cette drogue, sa prise par un chœur et l'individualisation d'un membre du chœur à la suite d'une trahison. Celle-ci sera "payée de sang"... La drogue est en fait le sang lui-même et c'est la perte de sang, la perte de vie, qui est le thème de la Cène, l'adaptation chrétienne de rites cannibales paiens, dans laquelle est thématisé le processus d'individualisation, le suicide de Judas, l'autoexclusion d'un des mangeurs de la communauté de la table."
De Faust à Parsifal, et jusqu'à Brecht, Schleef a suivi les différentes variations de ce motif, étrangement toujours accompagné de la liquidation du personnage féminin : les invitations de Puntila à son chauffeur à partager son ivresse passent par la démolition de sa propre fille. "Le refoulement de la femme et le refoulement du chœur sont étroitement liés à l'expulsion de la conscience tragique : cette dernière, si elle entrait de nouveau en scène, serait le domaine de la femme, et nos démêlés avec cette revendication est le conflit tenace qui occupe jusqu'au théâtre d'opérette. La place que laissent encore les auteurs antiques à la femme, c'est-à-dire la représentation en détails de sa défaite, cette place lui est largement refusée par le théâtre classique allemand. Héritage accablant : les classiques de la littérature allemande ne peuvent concevoir le chœur, la pensée chorale, l'union dans le chœur que comme une affaire d'hommes. Cette conception détermine brutalement, encore aujourd'hui, les problèmes de distribution et de répertoire de nos théâtres. L'union en un chœur, la définition des personnages comme chœur, suppose dans sa conception bourgeoise l'exclusion de la femme puisque cette dernière perturbe la prise de drogue."
Schleef a souvent mis en scène "la forme chorale masculine, elle qui ne se comprend pas comme telle, ... mais use avec brutalité de tous les avantages de la forme chorale et procède au recrutement d'une communauté de chasseurs pour contrôler le territoire qu'elle a conquis." Il l'a représentée avec une telle violence que nombre de critiques ont pris cette représentation du fascisme pour une représentation fasciste,- contre-sens absurde, mais tenace.
Le plus important était pour Schleef le retour sur scène d'un chœur féminin, la tentative de "rendre vie à la pensée chorale antique contre la littérature allemande classique, de parvenir au rapatriement de la femme au centre du conflit, c'est-à-dire au retour de la conscience tragique. Cette tentative existe chez d'autres gens de théâtre, mais leurs essais échouent devant les changements de situation politique qui s'ouvre parfois à un retour de la conscience tragique, mais qui au moment même de cette ouverture, au moment où cette dernière est reconnue par tous, se referme de nouveau. C'est ainsi que se répète le motif antique qui montre Electre la nuit devant le palais, ce palais où elle est née, dont elle fut chassée et auquel elle ne peut retourner qu'hantée par la vengeance et le désir de meurtre. Les Dieux se tiennent derrière elle, eux aussi ont été chassés et demandent à entrer : Et son cri remplit le palais immense."
Selon Schleef, il ne s'agissait pas "de changer de camp et de passer du côté des femmes. C'est un travail nécessaire, une correction nécessaire, une pensée nécessaire pour permettre la survie de la forme d'art en danger qu'est le théâtre parlé et chanté. Cette pensée, cette réforme du théâtre a des conséquences politiques, n'est pensable qu'ainsi, elle est aujourd'hui politiquement le commencement d'une utopie."
Blessures I
A 16 ans je passai un an à l'hôpital. Les premières semaines, je ne perçus rien de ce qui m'entourait, mes yeux étaient bandés, on m'alimentait, des excréments s'échappaient du corps, je n'étais que souffrance. Un bruit insupportable, qui devenait de plus en plus fort, je m'étouffais en avalant, c'est alors que le bruit s'arrêtait, je m'endormissais, me réveillais. Entendais de nouveau le bruit.
J'étais allongé dans une chambre à 8 lits d'une cité minière, mes voisins, des hommes d'âge avancé, jouaient aux cartes, tapaient sur les tablettes qu'on pouvait pousser vers les lits pour les repas, tapaient si fort que la vaisselle et les couverts s'entrechoquaient avec fracas. Mon lit était entouré d'une frontière, une frontière invisible, le bruit. J'étais allongé et ne pouvais bouger, avec du plâtre aux jambes et aux bras, je ne pouvais même pas m'assoir. Peu à peu je m'aperçus de la présence de mes voisins, les douleurs diminuèrent, je m'habituai, même à dépendre d'eux pour le moindre geste, comme plus tard ils devinrent dépendants de moi. Pendant "l'état crépusculaire" des premières semaines, la police criminelle m'interrogea, essaya de me faire parler, je ne voyais pas ceux qui m'interrogeaient, les lèvres écorchées brûlaient. Avec la langue j'en retirais des petits morceaux de peau pour ensuite les mâcher. Lorsqu'on changea le pansement qui entourait ma tête, je cherchai rapidement mes yeux avec ma main droite, l'infirmière alla chercher en courant le sous-marin. J'eus peur en touchant la bouillie. Je nettoyai mes doigts en les frottant contre le lit. Je restai allongé sans bouger, m'attendant à un sermon. Le sous-marin, une infirmière plus gradée, revint avec le chef qui ordonna un nouveau pansement. Quelques jours plus tard, on enleva la croûte de mon œil droit. Je devais tenir le miroir, je louchais dans un autre visage jusqu'à ce que je me rendis compte qu'il m'appartenait, des semaines passèrent. Etre capable de voir à nouveau fut comme un retour à la vie. A partir de là, je pouvais observer la chambre, 2 hautes fenêtres, les 7 autres lits, le jeu de cartes, le jour de visite, ma mère qui pleurait devant la porte. On continuait à m'alimenter. Je suis resté allongé dans cette chambre pendant 8 mois, je fus le seul à la quitter guéri.
Mes voisins puaient. Je sentis une odeur identique sur moi-même un jour où je trainais dans les couloirs avec ma charge de plâtre, longtemps après avoir pu de nouveau me lever. Mon bras suppurait. Il fallait en venir à l'amputation. Comme chez mes voisins qui avaient dû se défaire de leurs extrémités les unes après les autres. Grand-Papa Glanz à gauche à côté de moi, empoisonnement par le plomb, lui auquel je rendrais encore visite des années plus tard, lui qui se tenait comme un tronc enroulé dans un morceau de vieux plastique, sur sa chaise roulante sous la pluie, devant le snack-coopérative d'Etat pendant que sa femme et sa fille buvaient un café à l'intérieur. Cela me dégoûtait tellement de lui serrer la main que je ne parvins pas à me décider à traverser la rue et à aller vers lui. Quelle main ? Il n'en avait pas.
Ces hommes avaient des femmes, Frey, le paysan de la coopérative agricole, il était de l'équipe de nuit, il conduisait un tracteur muni de plusieurs instruments de labour, histoire de dépasser les objectifs du plan. Frey, par ivrognerie ou épuisement, avait dégringolé la pente d'un talus, fit la culbute, la herse rentra dans la jambe, il resta à terre jusqu'au lendemain midi, sa femme se mit alors à sa recherche, la direction de la coopérative n'était au courant de rien, finalement elle laissa tomber la crêche où elle travaillait, parcourut la campagne à vélo. Elle le trouva, alla chercher l'ambulance, tout allait de nouveau bien. On se réjouit, trop vite, du nitrate était entré dans la blessure, de l'engrais qui l'empêchait de cicatriser, se répandait lentement, d'abord dans le mollet, puis monta au-dessus du genou, l'engrais bouffa le corps.
A côté de moi il n'y avait que ce genre de candidats. Un agronome attaqué par une brigade de femmes au cours d'une étude, mordu au bas-ventre. Dans le coin près de la porte, un des Russes qui s'étaient rentrés dedans pendant la manœuvre. De nuit, après avoir pris d'importantes mesures de sécurité, on les répartit sur les lits encore libres, les officiers formaient une muraille autour des brancards transportant des soldats haletant et hurlant, qu'ils frappaient au visage. Quiconque d'entre nous désirait se lever devait avoir un éclairage de secours, la nuit, il y avait coupure de courant ou panne. Les bottes résonnaient sur le carrelage des couloirs. Les médecins, endormis, pas encore tout à fait habillés, laissèrent aux infirmières le soin de répartir les mourants entre les détachements d'officiers.
Deux jours plus tard, le soldat, qui ne pouvait plus parler, me montra son étui à cigarettes orné du portrait de Gogol. Le fait que je savais qui était Gogol marqua une séparation singulière que je ne perçus pas immédiatement. Mes voisins de chambre avec lesquels j'avais déjà passé plusieurs mois devinrent réservés, se mirent à converser à voix basse, se blotirent dans leurs lits, commencèrent à préférer me voir me lever, être conduit par les infirmières vers la porte, me tenir dehors.
La mort dont j'ai peur aujourd'hui, elle était alors présente. Le soldat fut transporté dehors, de nuit. Il était couché sur le linoleum dans son drap, on ne pouvait plus rien reconnaître de lui, pas de tatouage au visage ou à la poitrine, un crâne nu comme s'il avait rajeuni, mais je ne pus lever ma tête de l'oreiller, je la tournai vers la gauche jusqu'à me heurter au plâtre, me laissai retomber en arrière. La lampe de poche courait sur le palier. Les infirmières de nuit trainèrent le mort enroulé dans un drap et une couverture, le déposèrent dehors, refermèrent doucement la porte, comme si nous étions endormis.
Grand-Papa Glanz perdit 2 bras, 2 jambes et malgré cela ne mourut pas. Je me promenais avec mon plâtre comme un navire qui fait eau. Il était lourd, puait, la sauce me glissait le long du corps vers en bas. D'abord je le dissimulai, je me dis que je devais me tromper, mais mes voisins sentaient l'odeur, ce fut pour eux comme une satisfaction, ils me gardèrent ainsi plus longtemps, 4 mois encore. Maintenant le moment était venu, maintenant on devait m'amputer du bras. On convoqua ma mère, elle devait signer, elle ne signa pas.
J'étais allongé dans la salle d'opération, enivré et engourdi, la puanteur ne faisant plus qu'un avec moi, je ne différenciais plus rien. La scie toucha la plus ancienne couche de plâtre, le lourd ciseau entre la cage thoraxique et le bras, arracha des morceaux de pansement ramollis, emporta avec de la peau morte et des poils. Je ne voyais plus les visages comme pendant l'opération, j'essayais de garder les dents serrées.
Lorsque de gros morceaux de plâtre tombèrent, je ressentis aussitôt un froid comme si des morceaux de glace étaient tombés sur ma poitrine. On nettoya le bras, on n'en était pas encore à la blessure, la masse liquide qui sortait enduisait tout comme s'il y avait eu sous la peau un sac qui devait d'abord s'écouler. Des bulles d'air explosaient sur mes tempes, le bruit s'intensifia. Les ampoules dégoulinaient dans le cou, je supportai leur froideur. L'odeur me dominait, pas de souffrance. Lorsque le bras fut nettoyé, tourné et lentement tiré vers le haut, je criai, sur le bras entier ruisselèrent des petites bulles, elles se concentrèrent autour de la blessure, tressaillements et picotements, comme lorsqu'on avale de travers une eau gazeuse et que les perles d'eau explosent dans le cou. Ce picotement était si fort qu'après plus de 5 mois le bras put sentir l'air pour la première fois, il fut pour la première fois sec.
Le liquide qui sortait disparut au moment où l'on enleva l'ancien plâtre. Sous le nouveau, j'avais l'impression d'étouffer de chaleur comme si l'on exerçait une pression sur la cage thoraxique. Je m'étirai, j'ajustai mon corps au plâtre l'enserrant, bien qu'il risquât de chauffer encore davantage. Le bras était encore à l'air libre, j'étais seul, je n'avais pas de sentiment, je n'avais pas la force de le bouger, il était posé à côté de moi. Comme je louchai vers lui d'en haut, à moitié redressé, et l'observai, le picotement cessa, le bras devint froid, je commençai à geler alors que je pouvais à peine respirer à cause de la chaleur, la sueur me collait aux yeux, les empêchait de s'ouvrir. Sur le sol carrelé gisait mon ancien plâtre, mon Stuka, que j'avais prudemment brisé en bas à droite, morceau par morceau, des bouts de coton séchés y étaient collés, je les poussai vers le bas pour ne plus me gratter au sang. J'étais épuisé, le bras reposait, libre, la tranquillité s'empara de moi.
L'odeur resta encore autour de moi, des jours entiers, avant de s'estomper. Mais je continuais à me renifler, j'allais aux toilettes pour me sentir. Mère n'avait pas signé, est-ce que le bras devait être amputé ? Je reniflais, essayais de masser les doigts déjà blancs. Parfois je me tenais dans le sinistre jardin dévolu aux patients, il était humide et noir, rempli de buis et de vieux arbres, en forte pente jusqu'à un mur au sommet duquel était dressé une barrière métallique. En montant sur un tas de pierres, on pouvait voir d'en haut un ravin dans lequel des automobiles passaient à toute vitesse. Dans le jardin, j'étais seul, j'enlevais le plâtre en grattant, semaine après semaine, est-ce que la blessure se referme ?
Le bras est encore aujourd'hui suspendu à mon corps, il est là et pandille, parfois il ne répond plus, comme mon vieil ordinateur.
Alors que j'essayai de rattraper la Seconde au lycée, je retournai à l'hôpital, rendis visite à mes camarades de chambre, Frey avait été renvoyé comme incurable, il ne voulut pas d'amputation, il mourut. Sa femme avait été licencié pour avoir abandonné son poste de travail sans raison pour partir à la recherche de son mari. A partir de ce moment-là, elle resta chez elle et se mit à prendre des cachets, elle ne survécut pas à son mari, la coopérative agricole organisa le transport de l'enfant dans un orphelinat, même chez les grands-parents, il n'avait pas le droit de rester. Müller s'est servi de l'histoire de Frey pour Tracteur.
J'aimais bien revenir, mon cœur battait fort quand j'avais le gardien derrière moi, quand je voyais les blouses des médecins, l'infirmière en chef, le sous-marin, une femme rongée, desséchée, énergique, aux yeux perçants, qui apparaissait partout à l'improviste, passait en vitesse devant moi pendant que les aides-soignantes m'apportaient du café et des gâteaux. Le jeune médecin, gras et gai, le médecin maigre, amer et cynique, habile en tout, il hochait la tête avec arrogance, m'apportait un livre et ressortait de la pièce. Le chef, crâne à moitié chauve, huileux et frisé, des favoris, un bœuf fait homme, un vrai bourreau qui connaissait son métier, rapiéçait des ossements, étudiait chaque jour de nouveaux squelettes de mineurs, mais restait impuissant devant un empoisonnement du sang. Lorsqu'il venait, c'était l'ambiance des jours de fête, il ordonnait que les femmes puissent rester seules avec leurs maris, faisait un signe de tête pour signifier à ceux qui pouvaient se lever qu'ils devaient sortir. Je vis la femme de Frey assouvir les envies de Frey. Je vis que celui à la fenêtre avec les deux jambes écrasées éjaculait jusqu'au plafond, empochait 5 marks de chacun. Je vis qu'à chaque fois on transportait l'agronome dehors, on ne le découvrait jamais devant les autres et on évitait toute allusion à sa blessure.
Ces hommes étaient blessés comme si leur extérieur était signe de l'intérieur, signe d'une déchirure au-dedans d'eux. Mon père me rendit visite une fois, à la suite de quoi il tomba à terre. Je ne voulais pas voir mes parents, pas même ma mère.
Les Russes étaient tous morts. L'agronome se pendit dans le jardin des patients. Glanz vécut 4 années de plus que Frey. Notre chambre s'appelait le bataillon de l'ascension au ciel. Moi seul ai survécu.
Développé avec Berta